LE LIVRE DE LA PAUVRETÉ ET DE LA MORT - 1990
Le livre de la pauvreté et de la mort fait partie du livre d'heures de Rainer-Maria Rilke
Ce texte a beaucoup d'importance pour moi.
J'en ai monté 2 versions, la première en 1990 avec le chorégraphe Pierre Doussaint, à partir de la traduction d'Arthur Adamov, la deuxième en 2008 avec le compositeur Jean-Paul Buisson, dans ma propre traduction.
La plasticienne Samiha Driss a travaillé avec moi à la création d'un carnet à partir de cette traduction. Elle l'a illustré et cousu.
Les photos qui suivent viennent de la première version, celle de 1990.
Les photos sont de Claude Danteny et Cathy Peylan.
Le projet de monter ce long poème de Rilke naît en 1988, je suis hantée par la mort. Ma mère s'est suicidée quelques années plus tôt, à la naissance de mon fils. Son père et moi venons de rompre. J'ai commencé une analyse et pratique l'Aïkido au sein de l'Académie Autonome d'Aïkido, dite 3A. Maître André Cognard en est le fondateur.
Je vis avec Le Livre, Adamov en a fait une traduction presque épique, rugissante, d'une immense beauté. Ce livre est un mystère. Je ne me suis jamais confrontée à la poésie jusqu'à présent. Ni à la mise en scène. Je sors d'une compagnie où j'ai joué de grands rôles du répertoire classique, ce que j'ai adoré, et qui m'a construit pendant dix ans, mais là, pour la première fois, je ressens cette attirance qui ne me quittera plus pour l'immense, le mystérieux, ce que je ne puis ni cerner, ni comprendre tout à fait. Pour la première fois, je dois assumer, ou pas, ce désir que j'ai d'un texte. Mais qu'en faire ? je ne sais pas, je ne sais pas.
Parmi les élèves, il y a un couple de danseurs : Pierre Doussaint et Isabelle Dubouloz. Ils ont ensemble une compagnie. J'assiste à l'un de leurs spectacles : La beauté des fleurs. Et il m'apparait comme une évidence que seul Pierre peut me sauver, qu'il est seul apte, lui poète du corps et de l'espace, qui jouit la danse par tous ses pores, explosif ou tranchant, tendre encore, caressant, végétal, animal, ou divin, qu'il est seul apte à me faire faire quelque chose de ce texte.
Je me souviens de lui avoir écrit, blottie dans la baignoire (sans eau) d'une chambre d'hôtel, pendant que mon fils dormait dans la chambre, je me souviens du temps suspendu jusqu'à sa réponse, je me souviens de la joie et de la panique lorsqu'il a dit oui.
L'aventure commence. Je ne saurais la raconter en détails tellement elle me chamboule. Tellement la vie me chamboule, me retourne comme une vague immense.
Je sais juste que j'imaginais qu'il allait me dire quoi faire, et que le premier jour des répétitions, on a démarré une sorte d'improvisation d'une heure et demie qui nous a fait traverser tout le texte, et m'a laissé épuisée, avec l'impression d'avoir fait n'importe quoi mais que, bon, ça avait commencé !
On a improvisé, jour après jour, encore et encore, lancé nos corps de jeunes bêtes dans l'incessant combat, et si je n'étais pas honteuse et si je ne lâchais pas l'éponge, c'était juste qu'il était si beau, et que s'il me supportait, je pouvais bien me supporter aussi.
Il s'est bien sûr posée la question du décor. Pierre connaissait le peintre Ernest Pignon Ernest, il avait posé pour lui, il lui a demandé s'il voulait bien faire travailler avec nous à la scénographie et il a peint cette toile immense, inspirée de la porte de l'enfer de Rodin.
Plus tard sont venues les lumières. c'est sur ce spectacle que j'ai rencontré Walter Pace, avec qui je retravaillerai plusieurs fois.
Pour la musique Pierre Louis Garcia, dont je ne parlerai pas.
Pour finir, quelques mots de Rilke dans la traduction d'Adamov, les premiers mots du Livre :
Je suis peut-être enfoui au sein des montagnes,
solitaire comme une veine de métal pur;
je suis perdu dans un abîme illimité,
dans une nuit profonde et sans horizon.
Tout vient à moi, m'enserre et me fait pierre