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LE REPAS DES REPTILES 

Le repas des reptiles est un roman autobiographique. J'en ai entamé l'écriture en 90 ou 91.

 

Kwamé N'Goran m'a fait l'amitié de le publier aux éditions Klanba.

 

Une fois de plus, je crois que je ne me suis lancée dans l'écriture que parce que cela me semblait impossible.

En perdition, comme souvent, ( mais comme les mauvaises herbes, je suis du genre increvable et envahissant ) il me semblait que la seule chose qui pouvait me sauver, c'était de mettre des mots sur ce que je vivais comme des abandons répétés, sur mon incompréhension face à ces récurrences, des mots écrits, des mots que je puisse relire, qui ne disparaissent pas dans la brume ou la lumière comme après une séance de psychanalyse. Il me semblait aussi que c'était la chose la plus difficile que je puisse faire, dont l'impossibilité dépassait les autres impossibles.

Alors je me suis inscrite dans un atelier d'écriture : Aleph écriture, rue St Jacques.

Et j'ai découvert cette chose incroyable qui est, que lorsqu'on cherche à écrire sur un sujet important, on n'y arrive pas, et que lorsqu'on vous demande de parler de n'importe quoi, sans le vouloir, ce n'importe quoi vous ramène au sujet..

C'est banal et valable pour tout, mais comme toutes les règles de base, ça s'oublie très vite.

Au premier atelier, dit "de découverte", il fallait décrire un lieu: Pour moi un lieu, ce n'était rien du tout, du matériel, ça ne m'intimidait pas. Alors j'ai décrit sans peur la chambre de ma mère, et bien sûr, j'y ai découvert ma mère.

Ce passage est resté dans le roman.

EXTRAIT 1 : 

Ah la chambre de ma mère ! Pénétrer la chambre de ma mère c’est pénétrer la confusion de sa vie. Cette chambre qui ne ferme que par un rideau donne directement sur l’entrée. Je me souviens du petit buffet de l’entrée ; il a appartenu à un peintre, son ex-mari, il est comme scarifié par les coulures de peinture à l’huile. À l’intérieur se cache la lingerie de maman, bien triée dans des paniers d’osier doublés de papier de soie fuchsia. La chambre est aussi bureau, salle à manger, salon. Ma mère y reçoit ses clientes. J’ai dit clientes, non clients. Ma mère, que ses ouvrières sans ombre de malice appellent Madame Claude n’est pas une mère maquerelle, simplement couturière. La chambre abrite une tortue de Floride que ma mère nourrit de viande crue. Les repas, ceux de la tortue, ont toujours lieu dans son lit, celui de ma mère. Je la revois, si maigre et sombre contre la blancheur des oreillers. Sur un plateau, un grand bol de café noir presque achevé. La tortue au creux de la main. Une main pâle, longue, élégante et pourvue d’ongles. La tortue, petite et verte, sa bouche de reptile exagérément béante. Les repas de la tortue ont toujours lieu dans le lit de ma mère. Les nôtres, devant la télé, dans la chambre bien sûr. La chambre est aussi le lieu d’ébat et de promenade d’un couple de cochons d’inde et de leur petit. Ils se suivent à la queue leu leu le long des murs, jusqu’à arriver sous une étagère ou sous le lit. On les entend alors roucouler gaiement de loin en loin. Papa, quand il est là, ramasse derrière eux une multitude de crottes comme des grains de riz bruns. Ils sont si doux, si drôles, et tout de même bien moins encombrants qu’une enfant.

Mais cette chambre alors, pourquoi l’appeler chambre puisqu’elle a tant d’autres fonctions ? Peut-être parce que ma mère n’y dort pas ou croit n’y pas dormir ? Ma mère est insomniaque. L’insomnie, c’est le début et la fin de tout. La nourriture quotidienne de sa faiblesse, de sa souffrance et de son pouvoir. Ma mère gouverne par l’insomnie. La maison ne respire qu’au rythme de l’insomnie. Et ma mère trône dans ce lit, ce lit immense dont elle a viré mon père, ce lit qui remplit la chambre de son aura violette.

La chambre est la chambre à cause du lit.

Dans ce premier atelier, j'ai fait la connaissance d'un homme, qui s'est inscrit comme moi, qui s'est porté volontaire au bout de quelques mois, pour lire ce que j'écrivais, ce qui sortait sans que je sache du tout si c'était lisible ou si ça ne regardait que moi. Sans lui, ce livre n'aurait peut-être pas existé. Il apparaît dans le livre sous le nom de Grégoire. Et je le remercie du chaud du coeur.

Même si je n'en n'ai pas vendu beaucoup, c'est un vrai livre. Le libraire en bas de chez moi ne me dit plus bonjour de la même façon depuis qu'il l'a lu et accepté de le prendre en dépot. Des femmes, que je ne connaissais pas toutes, ont pleuré sur ce livre, certaines m'ont dit que ça les avait aidées. Et puis, plus tard, Jean Frédéric Vernier, qui apparaît très souvent dans ce blog, et dont vous savez toute l'admiration que j'ai pour lui, m'a écrit cette page pour la 4e de couverture. C'est sûr que c'est trop mais je vous la donne quand même parce que c'est un tel cadeau...

4E DE COUVERTURE : 

Clémentine est douée, téméraire, fragile et forte. Le danger ne l'arrête pas. La facilité la rebute.

La beauté lui parle. Une beauté qu'elle est parfois seule à voir mais qu'elle s'interdit de garder pour elle.

Courageuse, loyale, elle est un preux chevalier. Sa droiture, d'un autre temps, nous trouble, nous qui avons peur de notre ombre.

Clémentine avoue ses failles, ses doutes, ses blessures, dans l'espoir de les transmuer. Clémentine est son propre champ d'expériences.

 

Elle tâche de se connaître et de vivre en accord avec un tel savoir. Elle marche sur le fil, parfois ténu, qui relie le corps à l'esprit.

Son rapport au monde est sensuel. La peau, les palpitations du cœur, ne l'effraient nullement.

Clémentine est douce, effroyablement franche. Dure et généreuse, aussi. Comme la vie.

 

Clémentine est un mystère.

Peut-être se rêvait-elle fée dans son enfance ? En vérité, Clémentine est une sorcière, les pieds dans la glaise, les mains levées vers le ciel. Inlassable, elle réinvente l'univers, sa magie, ses tempêtes… L'indicible est son pays.

Une telle exigence peut épouvanter, mais, à coup sûr, émeut celui qui s'interroge et garde les yeux ouverts.

Alors, tout devient simple. Clémentine, enfant surnaturelle, chuchote, rit, danse, pleure et nous enchante. A la scène, à l'écran. Aujourd'hui dans ce livre, où elle nous parle d'elle. Sans fard. A la recherche de la vérité. Vivante, honnête, poétique.

LA COUVERTURE : 

Et maintenant : le dessin de la couverture, un autoportrait que ma mère, Claude Souvrain, a fait dans les années 50.

le repas des reptiles.jpeg

EXTRAIT 2 :  Presque le début

EXTRAIT 3 :  Presque la fin

GUÉRISON

Et puis, ça arrive... J'épouse le bonheur ! En un instant. Comme l'illumination. Comme un gag dans une bande dessinée. Un samedi, je suis seule et de nouveau colère, je jardine. Je marche sur le râteau, il me frappe. Paf ! Précision chirurgicale. Sur toute la hauteur du front, de la racine du nez à la base du crâne. Paf ! L'écho du coup ébranle ma cervelle. Je m’accroupis pour ne pas tomber, puis je cours au congélateur prendre des glaçons, puis à la pharmacie acheter de l'arnica, et tout ce temps-là, le coup résonne dans ma tête et je pense : ça y est ! C'est arrivé ! Exactement ce dont j’ai besoin ! J'ai envie de pleurer et de rire. Je suis épuisée mais je continue mes plantations, je pioche toute une plate-bande, une autre, devant l’entrée de la maison, j'y transporte trois brouettes de terre de potager pour l'alléger, j'ajoute du terreau et plante un genêt, un hibiscus et un cystus ; je les arrose, je leur parle. Seulement après, je m’allonge. Une énorme bosse orne mon front. Au fur et à mesure que la bosse bleuit, la certitude s'affirme. C'est par la bosse que le bonheur m'a pénétrée.

ACHETER  LE REPAS DES REPTILES

Comme je vous le disais, c'est un vrai livre, vous pouvez l'acheter, le lire, le racheter, l'offrir !!!

Prix : 15 € plus frais d'envoi.
Délai : Une semaine
Passer la commande : ici, sur le site, en mettant vos coordonnées, et je me charge de vous écrire ou vous rappeler

 

AU LIT

Je suis au lit... Mais ça ne veut pas dire que je lui appartiens... Il ne m’appartient pas non plus, c’était le nôtre... C’était le lit de Benjamin et Aude. Il restera le lit de Benjamin, même s’il l’a déserté... Je resterai sa femme même s’il l’a oublié. Je suis au lit... Comme il est grand ce lit... Immense et désolé... Depuis le temps qu’il est parti, plus d’un an maintenant, je continue à dormir sur le bord, tout à fait au bord du bord... Il faudrait que ça change... Il ne reviendra pas... La grande couette blanche, pliée en deux car il fait froid sans lui, me couvre d’une double épaisseur de linceul... Et cette grosse moitié de lit sur ma gauche, vide d’oreillers, vide de couette, vide de corps, me paraît chaque soir un peu plus inesthétique, un peu plus saugrenue, un peu plus pathétique. Chaque soir je me dis qu’il faudra que j’échange ce lit pour deux contre un quatre-vingt-dix. Mais j’ai peur... Dans ma chambre blanche et nue, dans ma chambre étroite, seul le lit me rappelle que je ne suis pas vierge, que je ne suis pas nonne, que j’ai connu l’amour et la liesse des corps. J’ai peur de disparaître avec le lit... Oui, si je change de lit, il faudra me rebaptiser... Mais quelle importance ? De toute façon, je ne sais plus qui je suis. Je suis au lit, Aude échouée sur le lit abandonné...

Tiens, la grille a grincé... Impossible ! j’ai dû rêver... Si c’était lui... Je me fige, je guette... Si c’est lui, je n’entendrai rien. Il a un pas d’indien. Laure, ma fille, sa fille, notre fille, est comme lui... Il n’y a personne, et tout à coup, elle est si proche qu’elle pourrait me toucher. Je guette... Si tendue que j’ai mal... L’air est épais de silence. Je me souviens de la dernière nuit qu’il a passé sur le divan du salon. Il avait dit qu’il viendrait peut-être, il voulait être présent au petit-déjeuner de Laure le lendemain matin... Je me souviens... J’avais réussi à m’endormir, à ne pas l’attendre. À deux heures et quelque chose, car tout de suite je regarde le réveil, ses chiffres luisent, rouges et obscènes comme une enseigne de sex-shop sur un chemin d’école buissonnière, à deux heures et quelque chose je me dresse dans mon lit. Mon sommeil sans rêve déboule sans transition sur un éveil implacable, angoissé, prémonitoire. Il est là... Oui, il doit être là. Un étage en dessous, dans le salon, juste sous ma chambre. Je reste immobile, l’appréhension m’étreint, et je sais d’une longue expérience, que je ne pourrai m’en rendre totalement maître. De quoi j’ai peur ? Inavouable encore. Je n’ai pas allumé... La chambre baigne dans la clarté fantomatique d’une pleine lune d’hiver. Le combat avec moi-même n’est qu’une formalité. Très vite, j’accepte que mes intestins ne se dénoueront pas, que mon coeur ne cessera de marteler mes côtes, que ma gorge ne se desserrera pas. Je me lève. J’enveloppe mon angoisse d’un lourd peignoir d’éponge. Benjamin me l’a offert quand Laure est née. L’éponge en est blanche comme les murs, comme la couette, comme le sol, comme cette part de moi où plus rien n’est inscrit que son absence. J’emprunte le long couloir qui mène à l’escalier, les yeux ouverts sur le brouillard blanc de la nuit. Le bout de mes doigts frôle les murs, la peau de mes pieds nus épouse le vieux parquet de bois, mais malgré mes efforts, des craquements éclatent parfois à mes oreilles, relançant le galop endiablé à l’intérieur de ma poitrine. Puis, les deux mains sur la rampe pour diminuer mon poids, je descends les marches, une à une. Il est là... Il n’est pas là... Il est là... Il n’est pas là... Enfin le rez-de-chaussée, et sous mes pieds le carrelage lisse et glacial. Je me laisse glisser, accroupie, la tête presque entre les genoux, enfouie bien à l’abri de mes bras repliés. Le sol ne me trahira plus. Soulagement... Désespoir... Mensonge... Je voudrais tellement qu’il sache que je suis là.

La porte du salon n’est qu’à peine entrouverte, il n’en filtre aucun bruit, nulle lueur. S’il est là, il dort. Je franchis d’un seul élan la distance qui me sépare de cette porte. Retenant mon souffle, je l’entrebâille un tout petit peu plus, retenant le panneau autant que je le pousse, craignant... souhaitant... Enfin, j’ose glisser... un oeil, deux yeux qui ne cillent pas... Deux yeux qui brûlent comme râpe rouillée. Il est là. Je ne peux pas le voir vraiment, juste le deviner, sous le renflement du drap, là-bas, sur le divan. Son visage dessine un halo brun sur la blancheur du matelas. J’avance vers lui, à pas de fantôme. À chaque pas, il émerge du flou. À chaque pas, il m’appartient un peu moins. Je reconnais les sourcils touffus, les cils épais, baisers papillon, le nez fin, droit, un peu décalé vers la gauche, les joues terriblement râpeuses. Je me souviens de mes lèvres, de mes seins, de mon ventre cuisant sous la morsure de cette barbe d’un jour, c’était la première fois que l’on faisait l’amour, et mon sexe se contracte sur lui-même, brûlant, humide, douloureux à crier... Je reste là pourtant, je le regarde... Je fouille ma douleur. Je me fouille du charnu de sa bouche, de l’ourlé de son oreille, de la puissance du cou, de la rondeur de l’épaule... Sur l’épaule subsiste encore l’empreinte de ma joue... Je ne peux imaginer d’autre bouche, d’autre épaule, d’autre odeur que l’odeur de cet homme, cette odeur lourde et capiteuse que je bois, que je suce, qui me pénètre et se répand en moi. Elle est ma sève, mon océan, ma colonne vertébrale, je ne peux m’en passer, pourtant je reste là. Ce désir de lui qui me creuse, ce désir de lui qui est ma maladie, ce désir qui lutte en moi avec l’amour priant que je le laisse aller, ce désir qui saigne sur la neige comme un camélia pourpre sans que les jours le fanent, j’en veux ce soir prendre toute la mesure et y forger l’acier de mon renoncement.

Une grille a grincé et je me souviens de cette nuit... Celle-ci lui ressemble... Mais la lune est absente, et Benjamin aussi... Qu’importe, je sais que je ne me rendormirai pas... alors je dis que je descends à la cuisine pour prendre une compote dans le frigo ! et des biscuits aux raisins aussi ! Manger, ça me calme ! Les insomnies, ça creuse ! Et si je fais un détour dans le salon, pour voir, juste pour savoir, je suis chez moi après tout ! J’ai le droit d’aller dans le salon !

 

Ce n’est qu’une grille qui a grincé... Je retourne dans ma chambre... J’ai deux compotes et tout un paquet de biscuits... Je me gave avec indifférence. Personne ne me reprochera les miettes dans le lit. Je n’aspire qu’à dormir, à oublier que j’existe comme il l’a oublié.

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